La Lune Noire ou Lilith
Extrait: La Lune Noire, Interprète du Noeud Originel, édition Dervy
Un mot-clef rattaché à la Lune Noire est un Non !, un Non profond, violent, qui se veut catégorique et absolu. Un cri ! Le même cri que celui lâché par le nouveau-né lorsque l’air pénètre dans ses poumons et qu’il reçoit le choc de la vie. Avec ce cri, se cristallise un refus qui se manifeste chaque fois que nous sommes confrontés aux chocs de la vie, mais se cristallise aussi dans ce grand moment du début de toute vie, la perte du confort utérin et la forte volonté de vivre.
En astrologie, la Lune Noire représente le noyau intérieur de nos forces inconscientes. Dès le début de sa découverte, on l’a appelé Lilith, reine des Enfers, épouse de Samaël. Voilà un nom dont le symbolisme mérite d’être quelque peu approfondi.
Quand tout s’écroule
Une époque charnière et riche en transformations telle que celle que nous vivons actuellement provoque des situations de chaos propices à nous faire rencontrer des forces qui peuvent nous sembler horribles et destructrices au premier coup d’oeil. Mais toute destruction ne porte-t-elle pas en soi une résurrection obligée, porteuse d’une nouvelle vie! C’est probablement pourquoi nous voyons apparaître une fascination pour le mythe de Lilith, si longtemps oublié.
Lilith, le mythe
Première femme d’Adam… elle était là avant lui…
Très féconde, elle est mère de centaine d’enfants qui naissent d’elle tous les jours…
La femelle conçut le mâle et enfanta l’esprit d’Adam…
Yahwé lui demande de se soumettre à Adam…
Elle se rebelle et préfère descendre aux Enfers et épouser Samaël…
Elle continue à être très féconde mais perd aussi beaucoup de ses enfants… et crée aussi de nombreux monstres…
Elle hante les nuits inspirant le désir, vidant les hommes de leur vitalité, tourmentant de tentations, créant la mort, jetant son ombre maléfique sur les enfants, etc…
Elle est fantasque, avide de plaisirs, sensuelle…
Elle est rattachée à la Fin des Temps au pilier de la Rigueur… Justice Suprême…
Qui est-elle ?
Provenant de traditions très anciennes, à la source de ce qui a engendré la Bible, il est dit de Lilith qu’elle était au Commencement, avant Adam, avant Ève. Source de fécondité, très prolifique, elle est mère de centaines d’enfants naissant d’elle quotidiennement. Lilith refuse de se soumettre à Adam quand Yawhé le lui demande et préfère les Enfers. Elle prend alors une dimension maléfique et devient rattachée à l’Ombre, au noir, à la nuit, au néant, à l’aveuglement et à l’impuissance. Elle hante les nuits inspirant le désir, vide les hommes de leur vitalité, tourmente de tentations, sème la mort, surtout des enfants, etc. De quoi impressionner ! Ajoutons en plus un absolu d’indépendance et de liberté sans alternative aux compromis. Compréhensible qu’on ait préféré Eve dans la Bible actuelle.
Toutes les traditions mythiques ont leurs femmes rebelles, porteuses de vie ou de mort, fantasques, monstrueuses, trompeuses, castratrices, assoiffées de sang, etc…Kali, Ishtar, Freija, la Méduse, les Ménades…. Et aussi, il y a à la source une Femme, déesse-mère, comme Lilith. Elle représente le pouvoir féminin, la connaissance innée des forces de Vie, la Nature, dans son sens le plus profond et, aussi, le plus primaire.
Être de refus…
Lilith refuse de se soumettre à Yawhé. De même pour nous, ce refus se manifeste chaque fois que nous sommes confrontés aux chocs de la vie. On refuse certaines réalités de la vie et son cortège d’obstacles au bonheur. On refuse l’impuissance, la souffrance, la douleur, les limites humaines, le temps, l’ennui, l’incapacité d’atteindre dans l’immédiat un état parfait, absolu, qui serait inaltérable, intouchable, inviolable. Il reste rêvé et pressenti mais toujours inaccessible.
Adam, représentant pour sa part l’humain dans sa quête, ne peut se satisfaire d’une existence dont il ne comprend pas la raison, et surtout, dont il n’a pas la maîtrise. Il développe alors la peur de Lilith. Il rejette en lui les forces instinctives qu’il ne maîtrise pas, il les refoule, les renie, croyant ainsi les dompter et les contrôler. Il cherche à les enfouir au plus loin de sa conscience. Il se laisse ainsi longtemps bercer par ses rêves, il se laisse prendre par les routines, les besoins quotidiens, ce qui lui apporte un bien-être temporaire, s’interrogeant seulement quand il est éprouvé.
Il tâtonne, il cherche, il est en quête de sa destinée définitive, celle qui n’a plus besoin de s’interroger. En attendant, il se trouve mille et une raisons de vivre. Celles-ci ne tiennent qu’un temps avant d’être balayées par des bouleversements ou par l’érosion du temps qui finit toujours par relativiser, jusqu’à dissoudre l’importance qu’on avait accordée à ces buts temporaires, si élevés semblaient-ils !
La Lune Noire est ce cri de l’humain pris dans le périple d’une vie, cherchant sa raison d’être et ne connaissant pas le mode d’emploi. Il doit le découvrir par lui-même, et c’est aussi ce qui fait sa grandeur.
La descente aux Enfers
Peut-on lui en vouloir de rejeter, terrifié, le gouffre noir de l’Ombre, de l’inconnu ? La peur s’installe donc et domine nos actes pour ne pas souffrir, mais elle reste enfouie et plutôt inconsciente amenant des comportements de contrôle et de fermeture, on essaie ainsi de tenir en laisse les forces intérieures qu’on ne maîtrise pas. Voilà Lilith, qui guette au fond de notre âme, dans l’Ombre, on n’a que fort peu conscience de sa force pendant longtemps.
Paradoxalement, ces forces de l’Ombre attirent parce qu’on y pressent un pouvoir fantastique et qu’en réalité, la véritable naissance à la Conscience en dépend. On voudrait s’approprier ce pouvoir mais sans en payer le prix, sans avoir à l’incarner. Lilith devient pour l’humain un paradoxe ; d’un côté un puits de forces négatives, antre de nos frayeurs et de l’inacceptable, et de l’autre, l’attraction d’un Absolu, contenu dans le pouvoir pressenti de Lilith.
Mais finalement, on doit inévitablement retrouver Lilith, représentante de l’Ombre, faire face à ses peurs, les reconnaître et les intégrer. On amorce alors la descente aux Enfers où règne Lilith. On ose explorer les couches les plus profondes de son inconscient, se confrontant ainsi aux forces primaires de son être. Et Lilith qui en a la connaissance, donne alors la clef nécessaire à son accomplissement.
Comment l’apprivoiser…
Il nous faut débusquer et apprivoiser cette Lilith, synonyme de chaos intérieur, énergie de l’Ombre, apprendre de quoi elle est faite, affronter ses peurs, les reconnaître et les intégrer. Il en est de même pour la formidable force d’attraction qu’elle représente, il faut apprendre à ce qu’elle puisse s’exprimer sans se laisser griser par un absolu faisant perdre tout sens commun. Il faut donc ramener celui-ci à des proportions plus réalistes, ce qui implique le deuil d’un mirage agissant comme un aimant.
Lorsqu’on est prêt à faire face à ce qu’il a de plus primaire, on rencontre nos Enfers intérieurs. C’est-à-dire qu’on explore les couches_profondes de notre inconscient, nous confrontant ainsi aux forces primaires qui nous habitent.
Dans toutes les traditions initiatiques, on considère la descente aux Enfers comme un passage vers la sagesse, une purification nécessaire. C’est ainsi que l’on vainc la peur, le Dragon est terrassé, le Tigre chevauché, le « Gardien du Seuil » rencontré, les Ténèbres apprivoisées, l’Unité de l’être retrouvé. On est devenu Arbre de Vie, autant capable de plonger ses racines dans les profondeurs de la terre pour y puiser les éléments nourriciers que de déployer ses branches au soleil pour y recevoir une énergie de lumière tout aussi vitale. Voilà un des symboles des plus complets de la rencontre avec l’inconscient et d’une participation créative à la vie. On ne peut rejeter l’Ombre sans se couper d’un des pôles fécondants de la Vie. Il va s’en dire que rester aux Enfers est destructeur.
Lilith et son cortège de démons sont rattachés au pilier de la Rigueur de l’Arbre Séphirotique, c’est-à-dire cet oeil clair qui voit et ne fuit pas. Cela nous indique ce qu’il nous faut pour rencontrer l’Ombre : dévoiler les vérités que l’on ne souhaite pas voir ni entendre, être capable de se regarder sans faux-fuyant, ne plus accepter ni duperie ni justification, voilà la Rigueur dans toute sa force et son sens. Plus de tricherie, on sort tout son être de l’Ombre. Car Lilith demeure toujours incapable de compromis.
En face du pilier de la Rigueur, il y a le pilier de la Miséricorde ; ils sont absolument indissociables pour qui part en quête de ses profondeurs, car pour les intégrer, il faut développer une capacité de compassion et de pardon envers soi-même, sans altérer d’aucune façon la volonté de reconnaître sans complaisance ses propres noirceurs. Le regard que l’on porte sur soi s’en trouve transformé, et s’ensuit celui que l’on porte sur l’humanité toute entière.
Lilith nous attend donc pour nous aider dans la connaissance de soi. Nous enfouissons dans notre inconscient aussi longtemps que nous ne pouvons les regarder en face tous nos aspects refoulés. Ils resurgissent malgré les digues que nous construisons, en actions ou en paroles, ou encore en rêves dérangeants. Lorsque l’on peut admettre envers soi-même et les autres ses aspects négatifs, ses peurs, sa vulnérabilité aussi, c’est l’aspect féminin représenté par Lilith que l’on intègre, et c’est un regard clair et transperçant qui se développe. Plus nous pénétrons et absorbons les profondeurs de notre être plutôt que de les nier, plus nous nous rapprochons de l’Unité, cette sensation de plénitude que nous recherchons si ardemment.
Lilith est là, cachée, et surgit chaque fois qu’elle le peut ; Vouloir la connaître, c’est commencer la véritable découverte de soi et de s’ouvrir à la Vie dans toute sa réalité. C’est con-naître la Vie. La clef qu’elle nous livre, c’est celle qui permet d’intégrer notre Ombre, d’y puiser l’énergie emprisonnée et, enfin, de se libérer.
Renée Lebeuf